Questions De Patrimoine

Questions De Patrimoine – Printemps 2018

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Questions de patrimoine 36 trois mémoires, tous fort bien accueillis. Ses amis feront dès lors référence au « culte de Doris ». Lorsque son éditeur a voulu employer les mots « femme âgée » dans le titre de la troisième œuvre, Doris McCarthy s'y est opposée. « Que je sois damnée si je dois vieillir! », a-t-elle lancé au Globe and Mail. Le livre, non traduit, s'intitule donc : Ninety Years Wise. Malgré un état de santé défaillant vers la fin de sa vie, Doris fait preuve d'un optimisme à toute épreuve, raconte Wendy : « Je suis si reconnaissante de cette prolongation sachant que je peux rester au lit et me remémorer toutes les grandes aventures que nous avons vécues. » Doris McCarthy a été, au fil des ans, récipiendaire de plusieurs distinctions. Nommée membre de l'Ordre du Canada, elle était titulaire de cinq doctorats honorifiques. Et pourtant, à son grand dam, elle n'a pas reçu la reconnaissance qu'elle méritait par l'élite artistique, les institutions publiques et les historiens. « Le Musée des beaux-arts du Canada ne possède pas une seule de mes toiles et il le devrait pourtant », s'était-elle plainte au Globe and Mail en 1990. Depuis cette déclaration, le Musée a acquis quatre de ses œuvres, bien qu'une seule ait été présentée dans le cadre d'une exposition d'ensemble sur l'Arctique. Le conservateur du Musée des beaux-arts du Canada, Charles Hill, réitère la critique courante que les universitaires formulent à l'égard du travail de l'artiste : il n'explore pas de nouveaux horizons, il s'agit d'une imitation, il n'y a pas de « choc de la nouveauté », pour citer le regretté critique d'art Clement Greenberg. « Je pense que c'est sensible, mais pas avant- gardiste », a affirmé Hill qui a admis n'avoir vu que des reproductions des œuvres de Doris McCarthy et ne pas être familier avec les toiles ultérieures de l'artiste. « Je ne peux certes pas me prononcer sur Doris McCarthy. Toutefois, je peux dire que ce que j'ai vu ne m'a pas intéressé. » David Silcox, historien de l'art et président de Sotheby's Canada, considère Doris McCarthy comme « quelqu'un qui a toujours fait partie du décor ». Il dit ne pas avoir suivi activement son travail, vraisemblablement pour cette raison : « Peut-être n'ai-je pas été incité à regarder de plus près ou avec autant de curiosité qu'il aurait fallu. » De l'avis de Silcox, elle a toujours été déphasée par rapport aux tendances du monde artistique : « J'ai toujours remarqué que le Groupe des Sept ne compte aucune femme, dit-il ironiquement. Mais, beaucoup de femmes avaient autant de talent que ses membres. » Doris McCarthy a été confrontée à ce que Silcox surnomme le « prestige masculin » bien enraciné qui nimbe la représentation du Nord dans la peinture. Le fait qu'elle était une femme d'âge assez avancé – qui plus est une ancienne enseignante au niveau secondaire – employant un langage qui ne sortait pas des sentiers battus a amené beaucoup de gens à ne pas la prendre en considération, rappelle Wynick. La galerie a connu une crise lorsqu'elle a accueilli Doris McCarthy en 1978, à une époque où la photographie artistique et l'art de l'installation étaient en vogue. « Mais la qualité nous a conquis », déclare-t-elle. McCarthy savait très bien que son travail était démodé. « Mes tableaux se déchiffrent si facilement que je m'en sens coupable », a-t-elle dit en plaisantant au Toronto Star en 1999. Non pas qu'elle s'en souciait outre mesure : « La plupart des artistes font l'erreur de croire qu'ils devraient faire ce que les autres artistes font plutôt que ce qu'ils font le mieux. » « Elle a toujours été démodée, sauf aux yeux des personnes qui ont acheté ses tableaux », déclare Alan Bryce, un collectionneur de Toronto qui s'est porté acquéreur pour la première fois d'une peinture de McCarthy en 1987. Au fil des ans, l'artiste a vu le prix de ses toiles augmenter, lentement mais sûrement, à mesure qu'elle gagnait de plus en plus d'adeptes. En 2008, son huile intitulée Home (Foyer) a rapporté 57 000 $ chez Sotheby's à Toronto, un prix record pour son travail – les prix à la galerie Wynick-Tuck s'échelonnaient de 950 $ pour une gravure sur bois à 68 000 $ pour une peinture à l'huile. Bryce affirme avoir tenté de susciter l'intérêt pour une rétrospective au Musée des beaux-arts du Canada, mais sans succès. Il ajoute : « Doris a dit un jour qu'elle demeurerait en vie pour voir une telle exposition. » Elle a été ravie que sa galerie homonyme monte l'exposition Roughing it in the Bush (À la dure dans la brousse), rapporte la commissaire invitée Nancy Campbell, qui a mis au jour des peintures abstraites inédites, aux arêtes vives, datant des années 1960 et du début des années 1970 qu'elle a magistralement mélangées à des œuvres d'autres périodes. À son dire, cela lui a permis de considérer le travail de Doris McCarthy sous un nouvel angle : « Je veux que les gens voient qu'elle avait vraiment une place unique dans notre vocabulaire. » Campbell est d'avis que l'exposition n'aurait jamais eu lieu, n'eût été la longue vie de la peintre : « Se serait-on attardé à son œuvre si elle était morte 20 ans plus tôt? » Bien sûr que non! Même à l'âge de 100 ans, Doris McCarthy donnait encore des cours d'art. Avec l'autorisation de Rogers Media Inc. Tous droits réservés.

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